Pour comprendre comment s'est développé le concept ultime du Parti communiste, il est recommandé de lire le livre “HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE (BOLCHÉVIK) DE L ’URSS”.
Je donne ici quelques éléments pris de ce livre:
La Russie tsariste était entrée plus tard que les autres pays dans la voie du développement capitaliste. Jusqu'aux années 60 du siècle dernier, il n'y avait en Russie que très peu de fabriques et d'usines. C'est l'économie féodale de la noblesse terrienne qui prédominait. Sous le régime du servage l'industrie ne pouvait prendre un véritable essor. Et dans l'agriculture, le travail non libre, serf, était d'une faible productivité. Le cours du développement économique poussait à la suppression du servage. En 1861 le gouvernement tsariste, affaibli par la défaite militaire pendant la campagne de Crimée et terrifié par les « révoltes » des paysans contre les propriétaires fonciers, se vit obligé d'abolir le servage.(….) Après l'abolition du servage, le développement du capitalisme industriel fut assez rapide en Russie, malgré les vestiges du servage qui freinaient encore sa marche. En vingt-cinq ans, de 1865 à 1890, le nombre des ouvriers, rien que dans les grandes fabriques, les usines et les chemins de fer, était passé de 706.000 à 1.433.000, c'est-à-dire qu'il avait plus que doublé. La grande industrie capitaliste prit un développement encore plus rapide dans les années 90. A la fin de cette décade, rien que pour les 50 provinces de la Russie d'Europe, le nombre des ouvriers occupés dans les grandes fabriques et usines, dans l'industrie minière et les chemins de fer, atteignait 2.207.000, et pour l'ensemble de la Russie, 2.792.000. C'était un prolétariat industriel moderne, foncièrement distinct des ouvriers des fabriques de l'époque du servage, ainsi que des ouvriers de la petite industrie, artisanale ou autre, tant par sa concentration dans les grandes entreprises capitalistes que par sa combativité révolutionnaire.(….) Dans le même temps, à la faveur de la montée du mouvement ouvrier de Russie et sous l'influence de celui de l'Europe occidentale, on voit se créer dans le pays les premières organisations marxistes.(…..) Avant que les groupes marxistes ne fussent apparus, le travail révolutionnaire était fait en Russie par les populistes, adversaires du marxisme.(…)
Marx et Engels enseignaient que le prolétariat industriel est la classe la plus révolutionnaire et, par conséquent, la classe la plus avancée de la société capitaliste ; que seule une classe comme le prolétariat peut rallier autour d'elle toutes les forces : qui sont mécontentes du capitalisme, et les mener à l'assaut du capitalisme. Mais pour vaincre le vieux monde et créer une société nouvelle, sans classes, le prolétariat doit avoir son propre parti ouvrier, que Marx et Engels appelaient parti communiste.(…) Avec le développement du capitalisme en Russie, la classe ouvrière devenait une force d'avant-garde imposante, capable d'une lutte révolutionnaire organisée. Or les populistes ne comprenaient pas le rôle d'avant-garde de la classe ouvrière. Les populistes russes considéraient à tort que la principale force révolutionnaire était non pas la classe ouvrière, mais la paysannerie ; que l'on pouvait renverser le pouvoir du tsar et des propriétaires fonciers par les seules « révoltes » paysannes. Les populistes ne connaissaient pas la classe ouvrière ; ils ne comprenaient pas que sans être alliés à la classe ouvrière et sans être dirigés par elle, les paysans ne pourraient pas à eux seuls vaincre le tsarisme et les propriétaires fonciers. Les populistes ne comprenaient pas que la classe ouvrière était la classe la plus révolutionnaire et la plus avancée de la société.(….) Les populistes empêchaient la classe ouvrière de comprendre le rôle dirigeant qu'elle devait jouer dans la révolution et freinaient la création d'un parti indépendant pour la classe ouvrière. Bien que l'organisation secrète des populistes eût été détruite par le gouvernement tsariste, les conceptions populistes se maintinrent longtemps encore parmi les intellectuels d'esprit révolutionnaire. Ce qui restait de populistes résistaient opiniâtrement à la diffusion du marxisme en Russie, empêchaient la classe ouvrière de s'organiser. Aussi le marxisme ne put-il croître et se fortifier en Russie qu'en luttant contre le populisme.(…)
En 1895, Lénine groupa tous les cercles ouvriers marxistes de Pétersbourg (il y en avait déjà près de vingt) en une seule “Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière”. C'est ainsi qu'il préparait la création d'un parti ouvrier révolutionnaire marxiste.
Le concept du “Parti ouvrier révolutionnaire Marxiste” était préparé par Marx et Engels
La préparation d’un parti qui organise les communistes comme Marx et Engels le formulait dans le Manifeste du Parti Communiste :
Le but immédiat des communistes est (...): constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux.
Cette “préparation” j’indiquait dans l’article 02-01-2021 2-ième sept. 2021: PCB-CPB existe 100 ans – Lénine (avril 1917):”Nom du parti est Parti Communiste comme dans le Manifeste de Marx et Engels”
Mais le 1e congrès ne le pouvait pas encore réaliser, une des raisons était que Lénine lui-même n’était pas présent … il était banni vers la Sibérie
Le problème: le marxisme en tant que base idéologique, théorique et politico-stratégique du parti a été mis sous pression ... parce que les principes ORGANISATIONNELS ne correspondaient pas (encore) à l'UNITÉ dans le parti sur le marxisme comme base idéologique, théorique et politico-stratégique
Comme nous pouvons le lire plus loin dans le livre “L'histoire du Parti communiste de l'Union soviétique (Bolchewiki)”:
Après l'arrestation de Lénine et de ses proches compagnons d'armes, il y eut un notable changement dans la direction de l'”Union de lutte” de Pétersbourg. Des hommes nouveaux étaient apparus, qui se donnaient le nom de “jeunes”, alors qu'ils qualifiaient de “vieux” Lénine et ses compagnons d'armes. Les “jeunes” se mirent à suivre une ligne politique erronée. Ils disaient qu'il ne fallait appeler les ouvriers qu'à la lutte économique contre les patrons ; quant à la lutte politique, c'était l'affaire de la bourgeoisie libérale ; à elle d'en assumer la direction. On donna à ces hommes le nom d' “économistes”. C'était, dans les rangs des organisations marxistes de Russie, le premier groupe de conciliateurs, d'opportunistes.(….)
En 1898, plusieurs “Unions de lutte”, – celles de Pétersbourg ; Moscou, Kiev, Iékatérinoslav, – ainsi que le Bund, font une première tentative pour se grouper en un parti social-démocrate. A cet effet ils réunissent à Minsk, en mars 1898, le I er congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR).(….)
Toutefois, malgré la réunion de ce I er congrès, le Parti social-démocrate marxiste n’était pas encore effectivement crée en Russie. Le congrès n’avait pu grouper les cercles et organisations marxistes, ni les rattacher par des liens d’organisation. Il n’y avait pas encore de ligne unique dans le travail des organisations locales, ni programme, ni statuts du parti ; il n’y avait pas de direction émanant d’un centre unique. Pour ces raisons et bien d’autres encore, le désarroi idéologique s’était accru dans les organisations locales ; et c’est ce qui créa des conditions favorables au renforcement d’un courant opportuniste, l’ “économisme”, au sein du mouvement ouvrier.(…)
Lénine n’avait pu assister au I er congrès du POSDR. Il se trouvait alors en Sibérie, déporté dans le village de Chouchenskoïé, où le gouvernement tsariste l’avait relégué après l’avoir longtemps gardé en prison à Pétersbourg pour l’affaire de l’ “Union de lutte”.(…) Bien qu’isolé de l’action révolutionnaire pratique et directe, Lénine avait su conserver certaines relations avec les militants ; du lieu de déportation où il se trouvait, il entretenait une correspondance avec eux, leur demandait des renseignements, leur prodiguait de conseils. Ce qui préoccupait surtout Lénine à cette époque, c’était la question des “économistes”. Il comprenait mieux que tout autre que l’ “économisme” était le noyau central de la politique de conciliation, de l’opportunisme ; que la victoire de l’ “économisme” dans le mouvement ouvrier signifierait la ruine du mouvement révolutionnaire du prolétariat, la défaite du marxisme.(….)
Les “économistes” prétendaient que les ouvriers devaient mener uniquement la lutte économique ; quant à la lutte politique, il fallait en laisser le soin à la bourgeoisie libérale, que les ouvriers devaient soutenir. Lénine considérait cette propagande des “économistes” comme un reniement du marxisme, une négation de la nécessité, pour la classe ouvrière, d’avoir un parti politique indépendant, une tentative de transformer la classe ouvrière en un appendice politique de la bourgeoisie. (…) Les “économistes” russes prêchaient les mêmes idées que les adversaires du marxisme dans les partis social-démocrates de l’étranger, ceux que l’on appelait les bernsteiniens, c'est-à-dire les partisans de l’opportuniste Bernstein. Ainsi la lutte de Lénine contre les “économistes” était-elle en même temps une lutte contre l’opportunisme international.(….)
Tandis que les années 1884-1894 avaient été marquées par la victoire sur le populisme et par la préparation idéologique de la social-démocratie, et qu'au cours des années 1894-1898 on avait tenté, infructueusement il est vrai, de créer un parti social-démocrate avec les organisations marxistes isolées, la période qui suivit 1898 fut une période d'accentuation, dans le parti, de la confusion idéologique et organique. La victoire du marxisme sur le populisme de même que les actions révolutionnaires de la classe ouvrière, qui avaient montré combien les marxistes avaient raison, avaient renforcé les sympathies de la jeunesse révolutionnaire pour le marxisme. Le marxisme fut à la mode. Résultat : dans les organisations marxistes affluèrent de grandes masses de jeunes intellectuels révolutionnaires, peu initiés à la théorie, sans expérience dans le domaine politique et d'organisation, et n'ayant du marxisme qu'une idée vague, — le plus souvent fausse, — qu'ils avaient puisée dans les écrits opportunistes dont les “marxistes légaux” remplissaient la presse. Cette circonstance avait fait baisser le niveau théorique et politique des organisations marxistes ; y avait introduit la mentalité opportuniste des “marxistes légaux”, accentué le désarroi idéologique, les flottements politiques et la confusion en matière d'organisation. L'essor de plus en plus vigoureux du mouvement ouvrier et l'imminence manifeste de la révolution imposaient la création d'un parti unique de la classe ouvrière, d'un parti centralisé, capable de diriger le mouvement révolutionnaire.(…)
Il y avait dans le Parti un groupe assez nombreux qui possédait ses organes de presse, Rabotchaia Mysl [la Pensée ouvrière] en Russie et Rabotchéïé Diélo [la Cause ouvrière] à l'étranger, et qui justifiait théoriquement l'émiettement organique et le désarroi idéologique du Parti, souvent même les exaltait, en considérant que la création d'un parti politique unique, centralisé, de la classe ouvrière, était une tâche inutile et factice.
C'étaient les “économistes” et leurs adeptes. Pour créer un parti politique unique du prolétariat, il fallait d'abord battre les “économistes”. (…)
Ceci étant, Lénine estimait que pour créer un parti politique de la classe ouvrière, il fallait commencer par fonder pour toute la Russie un journal politique de combat, qui ferait la propagande et l'agitation en faveur des conceptions de la social-démocratie révolutionnaire: l'organisation de ce journal devait être le premier pas à faire en vue de créer le Parti. (…)
Lénine considérait qu'un tel journal servirait non seulement à rassembler le Parti sur le terrain idéologique, mais aussi à réunir les organisations locales dans le Parti. Le réseau des agents et des correspondants de ce journal, représentants des organisations locales, serait l'ossature autour de laquelle s'organiserait, se rassemblerait le Parti. Car, disait Lénine, “le journal n'est pas seulement un propagandiste, un agitateur collectif, mais aussi un organisateur collectif”.(…) C'est l'Iskra qui devait être ce journal.(…) En ce qui concerne le caractère du parti à créer et son rôle à l'égard de la classe ouvrière, ainsi que ses buts et ses tâches, Lénine estimait que le Parti devait être l'avant-garde de la classe ouvrière, qu'il devait être la force dirigeante du mouvement ouvrier, force unifiant et orientant la lutte de classe du prolétariat. But final du Parti : le renversement du capitalisme et l'instauration du socialisme. Objectif immédiat : le renversement du tsarisme et l'instauration de l'ordre démocratique. Et comme il est impossible de renverser le capitalisme sans avoir, au préalable, renversé le tsarisme, la tâche essentielle du Parti à cette heure est de dresser la classe ouvrière, de dresser le peuple entier pour la lutte contre le tsarisme, de déployer le mouvement révolutionnaire du peuple contre le tsarisme, et de jeter bas le tsarisme en tant que premier et sérieux obstacle dans la voie du socialisme. (…)
Les “économistes” prétendaient que la lutte politique générale contre le tsarisme était l'affaire de toutes les classes, et avant tout, celle de la bourgeoisie ; qu'elle n'offrait pas, par conséquent, un intérêt sérieux pour la classe ouvrière, le principal intérêt des ouvriers devant être la lutte économique contre le patronat pour l'augmentation des salaires, pour l'amélioration des conditions de travail, etc. Aussi les social-démocrates devaient-ils s'assigner pour principale tâche immédiate, non la lutte politique contre le tsarisme, ni son renversement, mais l'organisation de la “lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement” ; par lutte économique contre le gouvernement, ils entendaient la lutte à mener pour améliorer la législation ouvrière. Les « économistes » assuraient que par ce moyen on pouvait “conférer à la lutte économique elle-même un caractère politique”.
Les “économistes” n'osaient plus s'élever ouvertement contre la nécessité d'un parti politique pour la classe ouvrière. Mais ils considéraient que le Parti ne devait pas être la force dirigeante du mouvement ouvrier, qu'il ne devait pas s'immiscer dans le mouvement spontané de la classe ouvrière, et à plus forte raison le diriger ; mais qu'il devait le suivre, l'étudier et en tirer des enseignements.
Les “économistes” prétendaient ensuite que le rôle d'élément conscient dans le mouvement ouvrier, le rôle organisateur et dirigeant de la conscience socialiste, de la théorie socialiste, était insignifiant, ou presque ; que la social-démocratie ne devait pas élever les ouvriers au niveau de la conscience socialiste ; qu'au contraire, elle devait elle-même s'adapter et s'abaisser au niveau des couches moyennement développées ou même plus arriérées de la classe ouvrière; que la social-démocratie ne devait pas apporter dans la classe ouvrière la conscience socialiste, mais devait attendre que le mouvement spontané de la classe ouvrière ait lui-même formé la conscience socialiste, par ses propres forces.
Quant au plan d'organisation de Lénine touchant la construction du Parti, ils considéraient que c'était violenter en quelque sorte le mouvement spontané.
En “Que Faire?” Quelques éléments et principes ….
PREFACE
(...) Elle devait avoir pour thème principal les trois questions posées dans l'article "Par où commencer ?" À savoir le caractère et le contenu essentiel de notre agitation politique ; nos tâches d'organisation ; le plan de construction menée par plusieurs bouts à la fois, d'une organisation de combat pour toute la Russie. Depuis longtemps ces problèmes intéressent l'auteur, qui s'est efforcé déjà de les soulever dans la Rabotchala Gazeta1, lors d'une tentative, faite sans succès, pour renouveler ce journal (voir chap. V). Mais mon intention première de me borner dans cette brochure à l'analyse de ces trois questions et d'exposer mes vues, autant que possible, sous une forme positive sans recourir ou presque à la polémique, s'est avérée complètement irréalisable pour deux raisons. D'une part, l'économisme s'est révélé beaucoup plus vivace que nous ne le supposions (nous employons le terme économisme dans une acception large, comme il a été expliqué dans l'article de l'Iskra, n° 12 (décembre 1901) "Entretien avec les défenseurs de l'économisme2", article qui trace pour ainsi dire le canevas de la brochure que nous présentons au lecteur). Chose indéniable aujourd'hui, c'est que les différentes opinions émises sur ces trois problèmes s'expliquent beaucoup plus par l'opposition radicale de deux tendances dans la social-démocratie russe, que par des divergences de détail. D'autre part, la perplexité que suscita chez les économistes l'exposé méthodique de nos vues dans l'Iskra a montré à l'évidence que souvent nous parlons littéralement des langues différentes ; que, par suite, nous ne pourrons nous entendre sur rien si nous ne commençons pas ab ovo ; qu'il est nécessaire de tenter une " explication" méthodique aussi populaire que possible, illustrée de très nombreux exemples concrets, avec tous les économistes sur tous les points capitaux de nos divergences. (…)
I. DOGMATISME ET "LIBERTE DE CRITIQUE" – 1. QUE SIGNIFIE LA "LIBERTE DE CRITIQUE" ?
(…) En effet, ce n'est un mystère pour personne que, dans social-démocratie internationale d’aujourd’hui3, il s'est formé deux tendances dont la lutte tantôt s'anime et brille d'une flamme éclatante, tantôt s'apaise et couve sous la cendre d'imposantes "résolutions de trêve". En quoi consiste la "nouvelle" tendance qui "critique" l' "ancien" marxisme "dogmatique", c'est ce que Bernstein a dit et ce que Millerand a montré avec une netteté suffisante.
La social-démocratie doit se transformer de parti de révolution sociale en parti démocratique de réformes sociales. Cette revendication politique, Bernstein l'a entourée de toute une batterie de "nouveaux" arguments et considérations assez harmonieusement orchestrés. Il nie la possibilité de donner un fondement scientifique au socialisme et de prouver, du point de vue de la conception matérialiste de l'histoire, sa nécessité et son inévitabilité. Il nie la misère croissante, la prolétarisation et l'aggravation des contradictions capitalistes ; il déclare inconsistante la conception même du "but final" et repousse catégoriquement l'idée de la dictature du prolétariat ; il nie l'opposition de principe entre le libéralisme et le socialisme ; il nie la théorie de la lutte de classes, soi-disant inapplicable à une société strictement démocratique, administrée selon la volonté de la majorité, etc.
Ainsi, la revendication d'un coup de barre décisif de la social-démocratie révolutionnaire vers le social-réformisme bourgeois était accompagnée d'un revirement non moins décisif vers la critique bourgeoise de toutes les idées fondamentales du marxisme. (…)
Ceux qui ne ferment pas sciemment les yeux ne peuvent pas ne pas voir que la nouvelle tendance "critique" dans le socialisme n'est qu'une nouvelle variété de l'opportunisme. Et si l'on juge des gens, non pas d'après le brillant uniforme qu'ils ont eux-mêmes revêtu ou le nom à effet qu'ils se sont euxmêmes attribué, mais d'après leur façon d'agir et les idées qu'ils propagent effectivement, il apparaîtra clairement que la "liberté de critique" est la liberté de la tendance opportuniste dans la social-démocratie, la liberté de transformer cette dernière en un parti démocratique de réformes, la liberté de faire pénétrer dans le socialisme les idées bourgeoises et les éléments bourgeois. (...)
2. LES NOUVEAUX DEFENSEURS DE LA "LIBERTE DE CRITIQUE"
(…) Les manifestations de l'actuel opportunisme international, partout identique dans son contenu social et politique varient selon les particularités nationales. Dans tel pays, les opportunistes se sont depuis longtemps groupés sous un drapeau particulier; dans tel autre, dédaigneux de la théorie ils mènent pratiquement la politique des radicaux socialistes; dans un troisième, quelques membres du parti révolutionnaire passés au camp de l'opportunisme veulent arriver à leurs fins, non par une lutte ouverte pour des principes, une tactique nouvelle, mais par une dépravation graduelle, insensible et, si l'on peut dire, impunissable, de leur parti. Ailleurs, enfin, ces transfuges emploient les mêmes procédés dans les ténèbres de l'esclavage politique, où le rapport entre l'activité "légale" et l'activité "illégale" etc., est tout à fait original. Faire de la liberté de critique et de la liberté du bernsteinisme la condition de l'union des social-démocrates russes, sans une analyse des manifestations concrètes et des résultats particuliers du bernsteinisme russe, c'est parler pour ne rien dire. Essayons donc de dire nous-mêmes, au moins en quelques mots, ce que n'a pas voulu dire (ou peut-être n'a pas su comprendre) le Rabotchéïé Diélo.
3. LA CRITIQUE EN RUSSIE
À cet égard, la particularité essentielle de la Russie, c'est que le début même du mouvement ouvrier spontané d'une part, et de l'évolution de l'opinion publique avancée vers le marxisme, de l'autre, a été marqué par la réunion d'éléments pertinemment hétérogènes sous un même drapeau pour la lutte contre l'ennemi commun (contre une philosophie politique et sociale surannée). Nous voulons parler de la lune de miel du "marxisme légal". Ce fut un phénomène d'une extrême originalité, à la possibilité duquel personne n'aurait pu croire dans les années 80 ou au début des années 90. (…)
Aujourd'hui, l'on peut parler de cette période tranquillement, comme on parle du passé. Nul n'ignore que la floraison éphémère du marxisme à la surface de notre littérature provint de l'alliance d'éléments extrêmes avec des éléments très modérés. Au fond, ces derniers étaient des démocrates bourgeois, et cette conclusion (corroborée à l'évidence par leur évolution "critique" ultérieure) s'imposait à certains, du temps que l'"alliance" était encore intacte4. (…)
Or, l'union avec les marxistes légaux fut en quelque sorte la première alliance politique véritable réalisée par la social-démocratie russe. Cette alliance permit de remporter sur le populisme une victoire étonnamment rapide et assura une diffusion prodigieuse aux idées marxistes (vulgarisées, il est vrai). En outre, cette alliance ne fut pas conclue tout à fait sans "conditions". Témoin le recueil marxiste Documents pour servir de caractéristique à notre développement économique, brûlé en 1895 par la censure. Si l'on peut comparer l'accord littéraire passé avec les marxistes légaux à une alliance politique, on peut comparer cet ouvrage à un contrat politique. La rupture ne provint évidemment pas de ce que les "alliés" s'étaient avéré des démocrates bourgeois. Au contraire, les représentants de cette dernière tendance sont pour la social-démocratie des alliés naturels et désirables, pour autant qu'il s’agisse de ses tâches démocratiques que la situation actuelle de la Russie porte au premier plan. Mais la condition nécessaire d'une telle alliance, c'est la pleine possibilité pour les socialistes de dévoiler devant la classe ouvrière l'opposition hostile de ses intérêts avec ceux de la bourgeoisie. Or, le bernsteinisme et la tendance "critique" auxquels se rallièrent en foule la plupart des marxistes légaux, enlevaient cette possibilité et pervertissaient la conscience socialiste en avilissant le marxisme, en prêchant la théorie de l'émoussement des antagonismes sociaux, en proclamant absurde l'idée de la révolution sociale et de la dictature du prolétariat, en ramenant le mouvement ouvrier et la lutte de classes à un trade-unionisme étroit et à la lutte pour de menues réformes graduelles. Cela équivaut parfaitement à la négation, par la démocratie bourgeoise, du droit du socialisme à l'indépendance, et, par conséquent de son droit à l’existence ; cela tendait en pratique à transformer le mouvement ouvrier, alors à ses débuts, en appendice du mouvement libéral. Il est évident que dans ces conditions la rupture s'imposait. Mais l'"originalité" de la Russie fut que cette rupture amena simplement l'élimination des social-démocrates de la littérature "légale", la plus accessible au public et la plus répandue. Les "ex-marxistes" qui s'étaient groupés "sous le signe de la critique" et avaient obtenu le quasi-monopole de "l'exécution" du marxisme s'y étaient retranchés. Les devises : "contre l'orthodoxie" et "vive la liberté de critique" (reprises maintenant par le Rabotchéïé Diélo) devinrent aussitôt des vocables à la mode. Que même censeurs et gendarmes n'aient pu résister à cette mode, c'est ce que montrent des faits tels que l'apparition de trois éditions russes du livre du fameux (fameux à la façon d'Érostrate) Bernstein ou la recommandation, par Zoubatov, des ouvrages de Bernstein, Prokopovitch, etc. (Iskra, n°10). Les. social-démocrates avaient alors la tâche déjà difficile par elle-même, et rendue incroyablement plus difficile encore par les obstacles purement extérieurs, de combattre le nouveau courant. Or, celui-ci ne se limitait pas à la littérature. L'évolution vers la "critique" se rencontrait avec l'engouement des social-démocrates praticiens pour l'"économisme". (….)
4. ENGELS ET L'IMPORTANCE DE LA LUTTE THEORIQUE
(…) L'exemple des social-démocrates russes illustre d'une façon particulièrement frappante ce phénomène commun à l'Europe (et signalé depuis longtemps par les marxistes allemands) que la fameuse liberté de critique ne signifie pas le remplacement d'une théorie par une autre, mais la liberté à l'égard de tout système cohérent et réfléchi ; elle signifie éclectisme et absence de principes. Ceux qui connaissent tant soit peu la situation de fait de notre mouvement ne peuvent pas ne pas voir que la large diffusion du marxisme a été accompagnée d'un certain abaissement du niveau théorique. Bien des gens dont la préparation théorique était infime ou nulle, ont adhéré au mouvement pour ses succès pratiques et sa portée pratique. On peut juger du manque de tact que montre le Rabotchéïé Diélo lorsqu'il sort d'un air triomphant cette définition de Marx : "Tout pas réel du mouvement pratique importe plus qu'une douzaine de programmes." Répéter ces mots en cette époque de débandade théorique équivaut à clamer à la vue d'un cortège funèbre : "Je vous souhaite d'en avoir toujours à porter !" D'ailleurs, ces mots sont empruntés à la lettre sur le programme de Gotha, dans laquelle Marx condamne catégoriquement l'éclectisme dans l'énoncé des principes. Si vraiment il est nécessaire de s'unir, écrivait Marx aux chefs du parti, passez des accords en vue d'atteindre les buts pratiques, du mouvement, mais n'allez pas jusqu'à faire commerce des principes, ne faites pas de "concessions" théoriques. Telle était la pensée de Marx, et voilà qu'il se trouve parmi nous des gens qui, en son nom, essayent de diminuer l'importance de la théorie !
Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l'engouement pour les formes les plus étroites de l'action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l'opportunisme. (…)
II. LA SPONTANEITE DES MASSES ET LA CONSCIENCE DE LA SOCIAL-DEMOCRATIE (…) 5. DEBUT DE L'ESSOR SPONTANE
Dans le chapitre précédent nous avons marqué l'engouement général de la jeunesse instruite russe pour la théorie marxiste vers 1895. C'est vers la même époque que les grèves ouvrières, après la fameuse guerre industrielle de 1896 à Pétersbourg, revêtirent aussi un caractère général. Leur extension dans toute la Russie attestait clairement combien profond était le mouvement populaire qui montait à nouveau, et si l'on veut parler de l'"élément spontané", c'est assurément dans ce mouvement de grèves qu'il faut le voir avant tout. Mais il y a spontanéité et spontanéité. Il y eut en Russie des grèves et dans les années 70 et dans les années 60 (et même dans la première moitié du XIX° siècle), grèves accompagnées de destruction "spontanée" de machines, etc. Comparées à ces "émeutes", les grèves après 1890 pourraient être qualifiées même de "conscientes", tant le mouvement ouvrier avait progressé dans l'intervalle. Ceci nous montre que l'"élément spontané" n'est au fond que la forme embryonnaire du conscient. Les émeutes primitives exprimaient déjà un certain éveil de conscience : les ouvriers perdaient leur foi séculaire dans l'inébranlabilité du régime qui les accablait ; ils commençaient... je ne dirai pas à comprendre, mais à sentir la nécessité d'une résistance collective, et ils rompaient résolument avec la soumission servile aux autorités. Pourtant, c'était bien plus une manifestation de désespoir et de vengeance qu'une lutte. Les grèves d'après 1890 nous offrent bien plus d'éclairs de conscience : on formule des revendications précises, on tâche de prévoir le moment favorable, on discute certains cas et exemples des autres localités etc. Si les émeutes étaient simplement la révolte de gens opprimés, les grèves systématiques étaient déjà des embryons - mais rien que des embryons - de la lutte de classe.
Prises en elles-mêmes, ces grèves étaient une lutte trade-unioniste, mais non encore social-démocrates ; elles marquaient l'éveil de l'antagonisme entre ouvriers et patrons ; mais les ouvriers n'avaient pas et ne pouvaient avoir conscience de l'opposition irréductible de leurs intérêts avec tout l'ordre politique et social existant, c'est à dire la conscience social-démocrate. Dans ce sens les grèves d'après 1890, malgré l'immense progrès qu'elles représentaient par rapport aux "émeutes", demeuraient un mouvement purement spontané. Les ouvriers, avons-nous dit, ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que du dehors. L'histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste, c'est-à-dire à la conviction qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc.5. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. (…)
C'est pourquoi il importe éminemment d'établir qu'une partie (peut-être même la majorité) des social-démocrates militants de 1895-1898 considéraient avec juste raison comme possible à cette époque-là, au début même du mouvement "spontané", de préconiser un programme et une tactique des plus étendus6. Or, le manque de préparation chez la plupart des révolutionnaires, étant un phénomène parfaitement naturel, ne pouvait susciter aucune appréhension particulière. Du moment que les tâches étaient bien posées ; du moment qu'on avait assez d'énergie pour essayer à nouveau de les accomplir, les insuccès momentanés n'étaient que demi-mal. L'expérience révolutionnaire et l'habileté organisatrice sont choses qui s'acquièrent. Il suffit qu'on veuille développer en soi les qualités nécessaires ! Il suffit qu'on prenne conscience de ses défauts, ce qui, en matière révolutionnaire, est plus que corriger à moitié ! Mais le demi-mal devint un mal véritable quand cette conscience commença à s'obscurcir (elle était pourtant très vive chez les militants des groupes mentionnés plus haut), quand apparurent des gens – et même des organes social-démocrates - prêts à ériger les défauts en vertus et tentant même de justifier théoriquement leur soumission servile au spontané, leur culte du spontané. Il est temps de faire le bilan de cette tendance, très inexactement caractérisé par le terme d'"économisme", trop étroit pour en exprimer le contenu.
6. LE CULTE DU SPONTANE. LA RABOTCHAÏA MYSL
(…) L'apparition de la Rabotchaïa Mysl tira l'économisme au grand jour,(…) si nous avons maintenant la possibilité de nous référer à l'éditorial de son premier numéro, (…) Or, cet éditorial vaut la peine qu'on s'y arrête, tant il exprime avec relief tout l'esprit de la Rabotchaïa Mysl et de l'économisme en général. (…)
Les formules comme : il faut mettre au premier plan non la "crème", des ouvriers, mais l'ouvrier du rang, ou comme : "Le politique suit toujours docilement l'économique7", etc., etc., acquirent une vogue et eurent une influence irrésistible sur la masse des jeunes entraînés dans le mouvement et qui, pour la plupart, ne connaissaient que des fragments du marxisme tel qu'il était exposé légalement.
C'était là l'écrasement complet de la conscience par la spontanéité - par la spontanéité des "social-démocrates" qui répétaient les "idées" de Monsieur V V., la spontanéité des ouvriers séduits par cet argument qu'une augmentation, même d'un kopek par rouble, valait mieux que tout socialisme et toute politique, qu'ils devaient "lutter en sachant qu'ils le faisaient, non pas pour de vagues générations futures, mais pour eux-mêmes et pour leurs enfants" (éditorial du n° 1 de la Rabotchaïa Mysl). Les phrases de ce genre ont toujours été l'arme préférée des bourgeois d'Occident qui, haïssant le socialisme, travaillaient eux-mêmes (comme le "social-politique" allemand Hirsch) à transplanter chez eux le trade-unionisme anglais, et disaient aux ouvriers que la lutte uniquement syndicale8 est une lutte justement pour eux et pour leurs enfants, et non pour de vagues générations futures avec un vague socialisme futur. Et voici que les "V. V. de lia social-démocratie russe9" se mettent à répéter ces phrases bourgeoises. Il importe de marquer ici trois points qui nous seront d'une grande utilité dans notre analyse des divergences actuelles10.
En premier lieu, l'écrasement de la conscience par la spontanéité, dont nous avons parlé, s'est aussi fait de façon spontanée. Cela semble un jeu de mots, mais c'est, hélas l'amère vérité. Ce qui a amené cet écrasement n'est pas une lutte déclarée de deux conceptions absolument opposées, ni la victoire de l'une sur l'autre, mais la disparition d'un nombre toujours plus grand de "vieux" révolutionnaires "cueillis" par les gendarmes et l'entrée en scène toujours plus fréquente des "jeunes" "V. V. de la social-démocratie russe". Tous ceux qui, je ne dirai pas, ont participé au mouvement russe contemporain, mais en ont simplement respiré l'air, savent parfaitement qu'il en est ainsi. Et si néanmoins nous insistons particulièrement pour que le lecteur se rende bien compte de ce fait connu de tous, si, pour plus d'évidence en quelque sorte, nous rapportons certaines données sur le Rabotchéïé Diélo première formation, et sur la discussion entre "jeunes" et "vieux" au début de 1897, c'est uniquement parce que des gens qui se targuent d'"esprit démocratique" spéculent sur l'ignorance de ce fait dans le grand public (ou dans la jeunesse la plus juvénile). Nous reviendrons là-dessus.
Deuxièmement, nous pouvons dès la première manifestation littéraire de l'économisme, observer un phénomène éminemment original et extrêmement caractéristique pour la compréhension de toutes les divergences entre social-démocrates d'à présent : les partisans du "mouvement purement ouvrier", les adeptes de la liaison la plus étroite et la plus "organique" (expression du Rab. Diélo) avec la lutte prolétarienne, les adversaires de tous les intellectuels non ouvriers (fussent-ils des intellectuels socialistes) sont obligés, pour défendre leur position, de recourir aux arguments des "uniquement trade-unionistes" bourgeois. Cela nous montre que, dès le début, la Rabotchaïa Mysl s'est mise – inconsciemment – à réaliser le programme du Credo. Cela montre (ce que ne peut arriver à comprendre le Rabotchéïé Diélo), que tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, toute diminution du rôle de "l'élément conscient", du rôle de la social-démocratie signifie par-là même - qu'on le veuille ou non, cela n'y fait absolument rien - un renforcement de l'idéologie bourgeoise sur les ouvriers. Tous ceux qui parlent de "surestimation de l'idéologie11", d'exagération du rôle de l'élément conscient12, etc., se figurent que le mouvement purement ouvrier est par lui-même capable d'élaborer et qu'il élaborera pour soi une idéologie indépendante, à la condition seulement que les ouvriers "arrachent leur sort des mains de leurs dirigeants". Mais c'est une erreur profonde. Pour compléter ce que nous avons dit plus haut, rapportons encore les paroles profondément justes et significatives de Kautsky à propos du projet du nouveau programme du parti social-démocrate autrichien13:
"Beaucoup de nos critiques révisionnistes imputent à Marx cette affirmation que le développement économique et la lutte de classe, non seulement créent les conditions de la production socialiste, mais engendrent directement la conscience (souligné par K.K.) de sa nécessité. Et voilà que ces critiques objectent que l'Angleterre, pays au développement capitaliste le plus avancé, est la plus étrangère à cette science. Le projet de programme donne à croire que la commission a élaboré le programme autrichien partage aussi ce point de vue soi-disant marxiste orthodoxe, que réfute l'exemple de l'Angleterre. Le projet porte : "Plus le prolétariat augmente en conséquence du développement capitaliste, plus il est contraint et a la possibilité de lutter contre le capitalisme. Le prolétariat vient à la conscience de la possibilité et de la nécessité du socialisme". Par suite, la conscience socialiste serait le résultat nécessaire, direct, de la lutte de classe prolétarienne. Et cela est entièrement faux. Comme doctrine, le socialisme a évidemment ses racines dans les rapports économiques actuels au même degré que la lutte de classe du prolétariat ; autant que cette dernière, il procède de la lutte contre la pauvreté et la misère des masses, engendrées par le capitalisme. Mais le socialisme et la lutte de classe surgissent parallèlement et ne s'engendrent pas l'un l’autre ; ils surgissent de prémisses différentes. La conscience socialiste d'aujourd'hui ne peut surgir que sur la base d'une profonde connaissance scientifique. En effet, la science économique contemporaine est autant une condition de la production socialiste que, par exemple, la technique moderne, et malgré tout son désir, le prolétariat ne peut créer ni l'une ni l’autre ; toutes deux surgissent du processus social contemporain. Or, le porteur de la science n'est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois (souligné par K. K.) : c'est en effet dans le cerveau de certains individus de cette catégorie qu'est né le socialisme contemporain, et c'est par eux qu'il a été communiqué aux prolétaires intellectuellement les plus développés, qui l'introduisent ensuite dans la lutte de classe du prolétariat là où les conditions le permettent. Ainsi donc, la conscience socialiste est un élément importé du dehors (Von Aussen Hineingetragenes) dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément (urwüchsig). Aussi le vieux programme de Hainfeld disait-il très justement que la tâche de la social-démocratie est d'introduire dans le prolétariat (littéralement : de remplir le prolétariat) la conscience de sa situation et la conscience de sa mission. Point ne serait besoin de le faire si cette conscience émanait naturellement de la lutte de classe. Or le nouveau projet a emprunté cette thèse à l'ancien programme et l'a accolée à la thèse citée plus haut. Ce qui a complètement interrompu le cours de la pensée..."
Du moment qu'il ne saurait être question d'une idéologie indépendante, élaborée par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur mouvement14, le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n'y a pas de milieu (car l'humanité n’a pas élaboré une "troisième" idéologie ; et puis d’ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d'idéologie en dehors ou au-dessus des classes). C'est pourquoi tout rapetissement de l'idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l'idéologie bourgeoise. On parle de spontanéité. Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l'idéologie bourgeoise, Il s'effectue justement selon le programme du Credo, car mouvement ouvrier spontané, c'est le trade-unionisme, la Nur-Gewerkschaftlerei ; or le trade-unionisme, c'est justement l'asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. C'est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu'a le trade-unionisme à se réfugier sous l'aile de la bourgeoisie, et de l'attirer sous l'aile de la social-démocratie révolutionnaire.(...)
III. POLITIQUE TRADE-UNIONISTE ET POLITIQUE SOCIAL-DEMOCRATE (...) 8. L'AGITATION POLITIQUE ET SON RETRECISSEMENT PAR LES ECONOMISTES
(…) En un mot, les divulgations économiques (d'usines) étaient et restent encore un levier important de la lutte économique. Et il en sera ainsi tant qu'existera le capitalisme, qui pousse nécessairement les ouvriers à l'autodéfense. Dans les pays européens les plus avancés, il arrive maintenant encore que la dénonciation des conditions scandaleuses de travail dans un "métier" désuet ou dans une branche de travail à domicile oubliée de tous, donne l'éveil à la conscience de classe, à la lutte syndicale et à la diffusion du socialisme15.
L'immense majorité des social-démocrates russes a été ces derniers temps, presque entièrement absorbée par l'organisation de ces divulgations d'usines. Il suffit de songer à la Rabotchaïa Mysl pour voir jusqu'où allait cette absorption ; on oubliait qu'au fond cette activité n'était pas encore en elle-même social-démocrate. Les divulgations concernaient uniquement les ouvriers d'une profession donnée avec leurs patrons, et n'avaient d'autre résultat que d'apprendre à ceux qui vendaient leur force de travail, à vendre plus avantageusement cette "marchandise" et à lutter contre l'acheteur sur le terrain d'une transaction purement commerciale. Ces divulgations (à condition d'être convenablement utilisées par l'organisation des révolutionnaires) pouvaient servir de point de départ et d'élément constitutif de l'action social-démocrate ; mais elles pouvaient aussi (et elles devaient, si l'on s'inclinait devant la spontanéité) aboutir à la lutte "uniquement professionnelle" et à un mouvement ouvrier non social-démocrate. La social-démocratie dirige la lutte de la classe ouvrière, non seulement pour obtenir des conditions avantageuses dans la vente de la force de travail, mais aussi pour la suppression de l'ordre social qui oblige les non-possédants à se vendre aux riches. La social-démocratie représente la classe ouvrière dans ses rapports non seulement avec un groupe donné d'employeurs, mais aussi avec toutes les classes de la société contemporaine, avec l'État comme force politique organisée. Il s'ensuit donc que, non seulement les social-démocrates ne peuvent se limiter à la lutte économique, mais qu'ils ne peuvent admettre que l'organisation des divulgations économiques constitue le plus clair de leur activité. (…)
Quel est dans la bouche de Martynov le sens concret, réel, de la tâche qu'il assigne à la social-démocratie : "Donner à la lutte économique elle-même un caractère politique" ? La lutte économique est la lutte collective des ouvriers contre le patronat, pour vendre avantageusement leur force de travail, pour améliorer leurs conditions de travail et d'existence. Cette lutte est nécessairement une lutte professionnelle parce que les conditions de travail sont extrêmement variées selon les professions et, partant, la lutte pour l'amélioration de ces conditions doit forcément être menée par profession (par les syndicats en Occident, par les unions professionnelles provisoires et au moyen de feuilles volantes en Russie, etc.). Donner "à la lutte économique elle-même un caractère politique", c'est donc chercher à faire aboutir les mêmes revendications professionnelles, à améliorer les conditions de travail dans chaque profession, par des "mesures législatives et administratives" (comme s'exprime Martynov à la page suivante, page 43 de son article). C'est précisément ce que font et ont toujours fait tous les syndicats ouvriers. (...)
10. LES REVELATIONS POLITIQUES ET “L'EDUCATION DE L’ACTIVITE REVOLUTIONNAIRE”
(...)Or, l'une des conditions essentielles de l'extension nécessaire de l'agitation politique, c'est d'organiser des révélations politiques dans tous les domaines. Seules ces révélations peuvent former la conscience politique et susciter l'activité révolutionnaire des masses.
(…) La conscience des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n'apprennent pas à profiter des faits et événements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique, s'ils n'apprennent pas à appliquer pratiquement l'analyse et le critérium matérialistes à toutes les formes de l'activité et de la vie de toutes les classes, catégories et groupes de la population. (…) Ces révélations politiques embrassant tous les domaines sont la condition nécessaire et fondamentale pour éduquer les masses en vue de leur activité révolutionnaire. (...)
12. LA CLASSE OUVRIERE, COMBATTANT D'AVANT-GARDE POUR LA DEMOCRATIE
(…) La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.
Le seul domaine où l'on pourrait puiser cette connaissance est celui des rapports de toutes les classes et couches de la population avec l'État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles. C'est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? - on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l'économisme, à savoir “aller aux ouvriers”. Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée.
L'essence de la lutte contre l'économisme, résumée du "Que faire?" dans le livre "L'histoire du Parti communiste de l'Union soviétique (Bolchewiki)":
Dans les colonnes de l'Iskra et, surtout, dans son célèbre ouvrage Que faire? Lénine s'attaqua à cette philosophie opportuniste des « économistes », et n'en laissa pas pierre sur pierre.
1° Lénine a montré que détourner la classe ouvrière de la lutte politique générale contre le tsarisme et limiter ses tâches à la lutte économique contre les patrons et le gouvernement, en laissant indemnes et le patronat et le gouvernement, signifiait condamner les ouvriers à l'esclavage à perpétuité. La lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement est une lutte trade-unioniste pour de meilleures conditions de vente de la force de travail aux capitalistes ; or les ouvriers veulent lutter non seulement pour obtenir de meilleures conditions de vente de leur force de travail, mais aussi pour la suppression du système capitaliste lui-même, qui les réduit à la nécessité de vendre leur force de travail aux capitalistes et de subir l'exploitation. Mais les ouvriers ne peuvent déployer la lutte contre le capitalisme, pour le socialisme, tant que sur le chemin du mouvement ouvrier se dresse le tsarisme, chien de garde du capitalisme. Aussi la tâche immédiate du Parti et de la classe ouvrière est-elle de balayer de la route le tsarisme et de frayer ainsi la voie au socialisme.
2° Lénine a montré qu'exalter le processus spontané du mouvement ouvrier et nier le rôle dirigeant du Parti, en le réduisant au rôle d'enregistreur des événements, c'est prêcher le “suivisme”, prêcher la transformation du Parti en un appendice du processus spontané, en une force passive du mouvement, uniquement capable de contempler le processus spontané; c'est s'en remettre à la spontanéité. Faire cette propagande, c'est orienter les choses vers la destruction du Parti, c'est-à-dire laisser la classe ouvrière sans parti, c'est-à-dire laisser la classe ouvrière désarmée. Or, laisser la classe ouvrière désarmée alors que devant elle se dressent des ennemis tels que le tsarisme armé de tous les moyens de lutte, et la bourgeoisie organisée à la moderne et possédant un parti à elle, un parti qui dirige sa lutte contre la classe ouvrière, — c'est trahir la classe ouvrière.
3° Lénine a montré que s'incliner devant le mouvement ouvrier spontané et abaisser le rôle de l'élément conscient, diminuer le rôle de la conscience socialiste, de la théorie socialiste, c'est, d'abord, se moquer des ouvriers qui aspirent à acquérir la conscience comme on aspire à la lumière ; en second lieu, déprécier aux yeux du Parti la théorie, c'est déprécier l'arme qui lui permet de connaître le présent et de prévoir l'avenir ; c'est, en troisième lieu, rouler entièrement et définitivement dans le marais de l'opportunisme.
“Sans théorie révolutionnaire, disait Lénine, pas de mouvement révolutionnaire... Seul un parti guidé par une théorie d'avant-garde peut remplir le rôle de combattant d'avant-garde.” (Lénine, Œuvres choisies, t. I, pp. 192-193.)
4° Lénine a montré que les “économistes” trompaient la classe ouvrière en prétendant que l'idéologie socialiste pouvait naître du mouvement spontané de la classe ouvrière ; car, en réalité, l'idéologie socialiste ne naît point du mouvement spontané, mais de la science. Les “économistes”, en niant la nécessité d'apporter dans la classe ouvrière la conscience socialiste, frayaient par là même le chemin à l'idéologie bourgeoise ; ils on facilitaient l'introduction, la pénétration dans la classe ouvrière ; par conséquent, ils enterraient l'idée de la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme, ils faisaient le jeu de la bourgeoisie.
“Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, disait Lénine, toute diminution du rôle de “l'élément conscient”, du rôle de la social-démocratie signifie par là même — qu'on le veuille ou non, cela n'y fait absolument rien — un renforcement de l'influence de l'idéologie bourgeoise sur les ouvriers.” (Ibidem, p. 204.)
Et plus loin :
”Le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n'y a pas de milieu... C'est pourquoi tout rapetissement de l'idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de celte dernière implique un renforcement de l'idéologie bourgeoise.” (Ibidem, p. 206.)
5° En dressant le bilan de toutes ces erreurs des “économistes” Lénine en arrive à conclure qu'ils veulent avoir, non pas un parti de révolution sociale pour libérer la classe ouvrière du capitalisme, mais un parti de “réformes sociales” impliquant le maintien de la domination du capitalisme ; et que les “économistes” sont, par conséquent, des réformistes qui trahissent les intérêts vitaux du prolétariat.
6° Lénine a montré enfin que l'”économisme” n'est pas un phénomène accidentel en Russie ; que les “économistes” servaient de véhicule à l'influence bourgeoise sur la classe ouvrière ; qu'ils avaient des alliés dans les partis social-démocrates de l'Europe occidentale, en la personne des révisionnistes, partisans de l'opportuniste Bernstein. Dans la social-démocratie d'Occident, un courant opportuniste s'affirmait de plus en plus ; il se manifestait sous le drapeau de la “liberté de critique” par rapport à Marx, et exigeait la “révision” de la doctrine de Marx (d'où le nom de “révisionnisme”) ; il exigeait que l'on renonçât à la révolution, au socialisme, à la dictature du prolétariat. Lénine a montré que les “économistes” russes suivaient cette même ligne de renonciation à la lutte révolutionnaire, au socialisme, à la dictature du prolétariat. Tels sont les principes théoriques essentiels développés par Lénine dans son ouvrage Que faire?
Et ainsi, en 1903, le 2e Congrès du POSDR pourrait avoir lieu. Comment APRÈS ce congrès deux courants - celui du menchevisme et celui du bolchevisme - ont pu surgir, j'en parlerai dans le prochain article.
1La Rabotchaïa Gazéta était l'organe des sociaux-démocrates de Kiev. Elle ne parût que deux fois : en août et décembre 1897. Le 1° congrès du P.O.S.D.R. avait reconnu la Rabotchaïa Gazéta comme organe officiel du parti, mais son imprimerie sera démantelée par la police tsariste peu après et ses responsables arrêtés.
2 Voir Lénine : œuvres, 4° éd. Russe, t.5, pp. 287-293. (N.R.)
3À propos. C'est là un fait presque unique dans l'histoire du socialisme moderne et extrêmement consolant dans son genre : pour la première fois une dispute entre diverses tendances au sein du socialisme déborde le cadre national pour devenir internationale. Naguère, les discussions entre lassalliens et eisenachiens (partisans allemands du marxisme - N.R.), entre guesdistes (partisans français du marxisme - N.R.) et possibilistes (forme française de réformisme – N.R.), entre fabiens (forme britannique de réformisme - N.R.) et social-democrates, entre narodovoltsy (partisans de la société secrète Narodnaïa Volia, populiste - N.R.) et social-démocrates, restaient purement nationales, reflétaient des particularités purement nationales, se déroulaient pour ainsi dire sur des plans différents. À l'heure présente (ceci apparaît clairement, aujourd'hui), les fabiens anglais, les ministérialistes français, les bernsteiniens allemands, les critiques russes (il s'agit des "marxistes légaux" très à droite - N.R.) forment tous une seule famille, tous s'adressent des louanges réciproques, s'instruisent les uns auprès des autres et mènent campagne en commun contre le marxisme "dogmatique". Peut-être, dans cette première mêlée véritablement internationale avec l'opportunisme socialiste, la social-démocratie révolutionnaire internationale se fortifiera-t-elle assez pour mettre fin à la réaction politique qui sévit depuis longtemps en Europe? (Note de Lénine)
4Allusion à l'article de K. Touline contre Strouvé (voir Lénine : œuvres, 4° éd. Russe, t. 1, pp. 315-484. N.R.), article tiré d'un rapport intitulé : Répercussion du marxisme dans la littérature bourgeoise. (Note de l'auteur à l'édition de 1907. N.R.)
5Le trade-unionisme n'exclut pas le moins du monde toute "politique", comme on le pense parfois. Les trade-unions ont toujours mené une certaine agitation et une certaine lutte politiques (mais non social-démocrates). Dans le chapitre suivant, nous exposerons la différence entre la politique trade-unioniste et la politique social-démocrate.
6"Critiquant l'activité des social-démocrates des dernières années du XIX° siècle, l'Iskra ne tient pas compte de l'absence à cette époque de conditions pour un travail autre que la lutte en faveur des petites revendications". Ainsi parlent les économistes dans leur Lettre aux organes social-démocrates russes (Iskra, n°12). Mais les faits cités dans le texte prouvent que cette affirmation sur "l'absence de conditions" est diamétralement opposée à la vérité. Non seulement vers 1900, mais aussi vers 1895, toutes les conditions étaient réunies pour permettre un travail autre que la lutte en faveur des petites revendications, toutes, sauf une préparation suffisante des dirigeants. Et voilà qu'au lieu de reconnaître ouvertement ce défaut de préparation chez nous, idéologues, dirigeants, les "économistes" veulent rejeter toute la faute sur l'"absence de conditions", sur l'influence du milieu matériel déterminant la voie dont aucun idéologue ne saurait faire dévier le mouvement. Qu'est-ce là, sinon une soumission servile au spontané, l'admiration des "idéologues" pour leurs propres défauts ?
7 Tiré du même éditorial du premier numéro de la Rabotchaïa Mysl. On peut juger par-là de la préparation théorique de ces "V. V. de la social-démocratie russe", qui reproduisaient cette grossière vulgarisation du "matérialisme économique", alors que, dans leurs écrits, les marxistes faisaient la guerre au véritable V. V., depuis longtemps surnommé "l'artisan de la réaction", pour la même façon de comprendre les rapports entre le politique et l'économique!
8Les Allemands possèdent même un mot spécial : Nur-Gewerkschatler ; pour désigner les partisans de la lutte "uniquement syndicale".
9 V. V. est le pseudonyme de l'un des dirigeants populistes des années 1880-90, V. Vorontsov. Par extension, Lénine appelle "V. V. de la social-démocratie russe" les défenseurs de l'opportunisme, les "économistes". (N.D.E.)
10 Nous soulignons actuelles pour les pharisiens qui hausseront les épaules en disant il est facile maintenant de dénigrer la Rabotchaïa Mysl mais tout cela c'est d'un passé lointain. Mutato nomme de te Fabula narratur (sous un autre nom, cette fable parle de toi. N.R.), répondrons-nous à ces pharisiens modernes, dont l'asservissement complet aux idées de la Rabotchaïa Mysl sera démontré plus loin.
11 Lettre des "économistes" dans le n° 12 de l'Iskra.
12 Rabotchéïé Diélo n°10
13 Neue Zeit 1901-1902, XX, I, n° 3, p. 79. Le projet de la commission dont parle K. Kautsky a été adopté (à la fin de l'année dernière) par le congrès de Vienne sous une forme un peu modifiée.
14Certes, il ne s'ensuit pas que les ouvriers ne participent pas à cette élaboration. Mais ils n’y participent pas en qualité d'ouvriers, ils y participent comme théoriciens du Socialisme, comme des Proudhon et des Weitling ; en d'autres termes, ils n'y participent que dans la mesure où ils parviennent à acquérir les connaissances plus ou moins parfaites de leur époque, et à les faire progresser. Or, pour que les ouvriers y parviennent plus souvent, il faut s'efforcer le plus possible d'élever le niveau de la conscience des ouvriers en général, il faut qu'ils ne se confinent pas dans le cadre artificiellement rétréci de la "littérature pour ouvriers" et apprennent à comprendre de mieux en mieux la littérature pour tous. Il serait même plus juste de dire, au lieu de "se confinent", ne soient pas confinés, parce que les ouvriers eux-mêmes lisent et voudraient lire tout ce qu'on écrit aussi pour les intellectuels, et seuls quelques (pitoyables) intellectuels pensent qu'il suffit de parler "aux ouvriers" de la vie de l'usine et de rabâcher ce qu'ils savent depuis longtemps.
15Dans ce chapitre, nous parlons uniquement de la lutte politique et de la façon plus ou moins large dont on la conçoit. C'est pourquoi nous ne signalerons qu'en passant, à titre de curiosité, le reproche que, fait le Rabotchéïé Diélo à l'Iskra de "réserve excessive" à l'égard de la lutte économique (Deux congrès, p. 27, rabâché par Martynov dans sa brochure Social-démocratie et classe ouvrière). Si MM. les accusateurs mesuraient (comme ils aiment le faire) en kilos ou en feuilles d'impression la rubrique de la vie économique de l'Iskra pendant l'année dernière, et la comparaient à la même rubrique du Rabotchéïé Diélo et de la Rabotchaïa MysI réunis, ils constateraient sans peine que, même sous ce rapport, ils sont en retard sur nous. Chose évidente, c'est que le sentiment de cette simple vérité les fait recourir à des arguments qui montrent nettement leur trouble. "Qu'elle le veuille ou non (!), écrivent-ils, l'Iskra est obligée (!) de tenir compte des besoins impérieux de l'existence et d'insérer tout au moins (!!) des correspondances sur le mouvement ouvrier" (Deux congrès, p. 27). En fait d'argument-massue contre nous, c'en est un !
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