01-11-2020

En Drapeau Rouge – Rode Vaan no 1, sept. 2020: Crise des soins de santé et crise du capital




En Drapeau Rouge – Rode Vaan no 1, sept. 2020:



Crise des soins de santé et crise du capital

En 2020, la pandémie COVID-19 met en évidence de façon criante la crise profonde que traverse le secteur des soins de santé, dans le monde capitaliste belge et européen. Mais cette crise ne date pas d’hier, et s’intègre dans les attaques globales de la bourgeoisie contre la sécurité sociale.


La privatisation d’un secteur de la santé toujours plus livré à la loi anarchique de la concurrence

Dans notre société capitaliste, l’activité économique est entièrement tournée vers la production et la vente de marchandises qui permet – par l’exploitation des travailleurs – aux classes dirigeantes d’extraire des profits faramineux sur le dos des masses.

Dans une certaine mesure, surtout depuis la 2e guerre mondiale et en particulier par la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie, les luttes acharnées des travailleurs ont permis de préserver partiellement le secteur de la santé de cette marchandisation en les confiant aux mains du secteur public ou via un contrôle public étroit. C’était une période – entre 1950 et 1980 environ – de croissance de l’économie, pendant laquelle les travailleurs – nécessaires pour la production – étaient relativement mieux traités qu’aujourd’hui.

Mais la tendance lourde du capital, qui a repris vigueur vers 1980, s’est attaquée à ces acquis. La surcapacité chronique du capital a attisé la lutte entre puissances capitalistes pour les parts de marché et poussé à une augmentation terrifiante de l’exploitation de la classe laborieuse.

Ainsi, de nos jours, nombre de maisons de repos et de soins (MRS) sont acquises et exploitées par des entreprises souvent multinationales qui, pour maximiser leurs profits, y font régner des conditions de travail effroyables au détriment tant des pensionnaires que des travailleurs.

On assiste à une privatisation progressive du secteur, fondée sur la marchandisation du soin. En effet, on ne privatise pas en un jour ou un an un secteur fondé sur le service au public, résultats des plus grandes luttes pour la sécurité sociale de l’immédiate après-guerre. Il faut tout d’abord réaliser des économies et convertir le fonctionnement du secteur à la marchandisation.


On connaît bien les économies que les gouvernements successifs, libéraux, P«S», nationalistes ou catholiques, tentent de réaliser dans les soins de santé sous l’impulsion des directives de l’Union Européenne. Le nombre de lits d’hôpitaux en Belgique, qui augmentait jusqu’en 1980 (9.4 lits pour 1000 habitants) a diminué en 40 ans de plus d’un tiers (aujourd’hui : environ 6 lits pour 1000 habitants) – ce qui a décuplé l’impact du coronavirus dans les hôpitaux, qui arrivaient bien vite à saturation.

Entre 2011 et 2018, l’Union Européenne a ainsi recommandé 63 fois à ses états membres de réduire les dépenses de santé. Au plus fort de la crise, ces criminels exigeaient que la Grèce limite les dépenses publiques de santé « à 6% du PIB ou moins » - alors que le PIB lui-même diminuait d’environ 25% ! En liant les coûts de santé publique au PIB, les experts à la solde du capital savent bien les dommages qu’ils causent – puisqu’ils exigent des réductions supplémentaires des frais de fonctionnement des structures sanitaires publiques pendant les périodes de crise du capital, où le peuple a encore moins les moyens de payer de sa poche le médecin et les médicaments !

Mais outre les économies, c’est toute la logique du secteur qui change peu à peu : la marchandisation du secteur s’accroît avec l’augmentation du capital fixe qui y est investi, non seulement pour des causes objectives (vieillissement de la population, technicité croissante de la médecine par exemple en imagerie médicale) mais surtout pour des raisons d’organisation politique : la bride est lâchée aux entreprises pharmaceutiques qui font la loi dans le secteur de la santé, l’Union Européenne via sa « directive services » régule et légifère pour abattre les secteurs publics et ouvrir tous les domaines à la concurrence, on fait des économies sur les programmes de prévention qui pourraient diminuer les coûts de la santé et on introduit des modes de tarification et de financement qui brisent la solidarité entre les acteurs du secteur.

Ainsi, des règles de financement complexes et souvent contradictoires contribuent à démanteler les services publics, notamment hospitaliers. La logique en est double :

- D’un côté, au lieu de financer globalement les hôpitaux, on introduit toujours davantage de financements à l’acte. Certains actes, notamment médico-techniques (par exemple de radiologie), sont très rémunérateurs, pour les hôpitaux et pour les prestataires de soins – en particulier certaines catégories privilégiées de médecins. De nombreux hôpitaux vont alors encourager leur personnel à prescrire et réaliser des milliers d’examens et d’actes qui n’ont aucun intérêt médical pour le patient mais qui sont bien remboursés par l’INAMI. Evidemment, quelqu’un doit bien les payer. Et ce que les hôpitaux et les médecins récoltent, c’est la sécurité sociale qui le paie. On introduit ainsi une concurrence entre deux domaines de la sécurité sociale, qui « devient de plus en plus chère » et « doit être privatisée » selon la vulgate dominante.
- Par ailleurs, le « Budget des Moyens Financiers » (BMF) des hôpitaux est déterminé selon une logique tout-à-fait perverse. On détermine, pour une activité particulière (par exemple l’informatisation du dossier du patient) ou globalement pour une catégorie d’hospitalisations une « enveloppe globale » pour tous les hôpitaux du pays. Système pervers qui instaure une austérité de facto, et est appliqué dans de nombreux autres services publics : on répartit cette enveloppe entre les hôpitaux en fonction de la « qualité » et de la « quantité » d’activité. Ceci est mesuré via le « Résumé Infirmier Minimum » (RIM ou DI-RHM) et le « Résumé Clinique Minimum ». Chaque année, on finance alors mieux, par exemple, les hôpitaux qui – pour un certain type d’intervention (comme une appendicectomie) – ont une durée moyenne de séjour plus basse que les autres. Chaque hôpital va donc tenter de diminuer la durée de ses séjours pour être en-dessous de la moyenne. Mais évidemment, alors, puisque tous les hôpitaux font pareil, la moyenne diminue l’année suivante. Et on entre dans une spirale infernale où on veut des hospitalisations toujours plus brèves, et où jette le patient hors de l’hôpital avant que ce ne soit raisonnable.

Dans les hôpitaux, on diminue alors le nombre de soignants mais on crée des services entiers de financiers diplômés qu’on emploie comme « contrôleurs de gestion » pour optimaliser la tarification et le « BMF » alloué à l’hôpital.

En outre, pour pallier aux insuffisances de son financement, l’hôpital doit souvent se prostituer devant les assurances de santé privées. Celles-ci sont aussi payées par les travailleurs, directement ou indirectement. Et, comme le « deuxième pilier de pension », ces assurances privées commencent peu à peu à prendre le pas sur la sécurité sociale pour tous. Et même les mutuelles sont poussées, voire obligées par les directives européennes, à rentrer dans ce jeu infâme.

Peu à peu, à cause de cette logique et malgré les efforts considérables des soignants et de tous les personnels des hôpitaux, les soins de santé se dégradent. On les juge encore trop coûteux, notamment à cause de la ponction des firmes pharmaceutiques avec des médicaments que les hôpitaux, comme les patients, paient toujours plus cher. La situation est mûre pour déclarer que « les services publics ne fonctionnent pas » ou que « notre système de soins de santé doit être réformé ».

Le fruit est mûr alors pour être cueilli par le grand capital multinational, et on privatise le secteur.

Si cette logique est, dans une certaine mesure, encore tempérée par les acquis de la sécurité sociale en Belgique, elle est néanmoins déjà bien présente. On sort de la logique visant à satisfaire un besoin social et collectif, et on rentre dans la logique de l’offre et de la demande solvable. Et tant pis pour ceux qui ont le plus besoin de soins de santé et le moins de moyens pour se les payer !

A un moment donné l'ensemble du secteur bascule dans le privé et nous nous retrouvons dans un système à l'américaine, où on refuse des malades non assurés ou on force les gens à s'assurer partiellement à cause des coûts de la protection, avec les conséquences très graves si on a coché les mauvaises cases à ce lotto de l’assurance et « oublié » d'assurer la maladie qui vous frappe. C'est l'endettement à vie, ou la vente de la maison ou carrément la rue !!!


La pandémie et le festin des charognards du numérique.

Nous savons que cette pandémie est une aubaine pour certains secteurs du capital, parmi ceux dont les profits étaient déjà les plus élevés. Les secteurs de haute technologie font semblant d’«aider » le secteur de soins « offrant des tablettes » aux hôpitaux et maisons de repos « pour garder le contact », en proposant des systèmes de vidéoconférence « gratuits » aux institutions de soins le temps de la pandémie. En fait, ces entreprises exercent une pression permanente pour qu’on abolisse les structures collectives de la santé (hôpitaux, centres de proximité) et qu’on les remplace par des solutions technologiques éventuellement soutenues par des soignants privatisés. Ceci permettra de continuer à diminuer le nombre de lits d’hôpitaux, tandis que les malades seront « hospitalisés à domicile » et que des infirmières indépendantes leur rendront visite une à deux fois par jour. Bien évidemment le malade sera d’autant mieux « hospitalisé à domicile » que son logement est spacieux et décent, et la qualité des soins (en termes d’hygiène et de confort notamment) devient de plus en plus une question de classe. L’hôpital, comme toutes les structures collectives hérités du passé, visait dans une certaine mesure à fournir à tous des soins de qualité identique (avec quelques différences de « confort » et d’« hôtellerie » - entre chics hôpitaux privés et hôpitaux publics mal financés, entre « chambres individuelles » impayables pour les prolétaires et chambres à 2 ou 4 lits). A présent, le malade qui dispose d’un meilleur logement et d’une meilleure infrastructure de connectivité (connexion internet rapide avec wifi dans toutes les pièces, smartphone de toute dernière génération) pourra être mieux suivi. Pendant ce temps-là, Telenet et Proximus font d’immenses bénéfices, sans parler d’Apple dont la capitalisation en bourse vient de dépasser les 2000 milliards de dollars. Les « données de santé », collectées via mille « applications sur smartphone » et « dispositifs connectés » (thermomètre digital, …) seront exploitées par google et compagnie qui les revendront aux compagnies d’assurance et aux firmes pharmaceutiques. Nous n’en sommes pas très loin.

La destruction des structures collectives de santé est donc accélérée par la pandémie de Covid-19, dans un grand festin des charognards du grand capital du numérique et de la vente en ligne.


Une politique non seulement d’économie, mais aussi de division des travailleurs

Pendant cette crise sanitaire, on a beaucoup parlé du scandale de la désorganisation des décisions politiques dans un pays où les compétences en matière de santé sont réparties entre 9 ministres. Au niveau des institutions et services de santé eux-mêmes, la situation n’est pas meilleure : la prévention dépend des communautés, les hôpitaux du fédéral et les maisons de repos et de soins (MRS) des régions !

Vu les tensions en matière de financement, non seulement ceci empêche la mise au point de politiques sanitaires cohérentes (même si nos dirigeants le voulaient !) mais ceci contribue à diviser les travailleurs. Ainsi, une prime « coronavirus » sera attribuée spécifiquement aux soignants des hôpitaux, mais exclura ceux des MRS, qui en ont autant bavé !

Et partout, les dirigeants – ceux des partis bourgeois comme ceux parmi les organisations syndicales qui trahissent le peuple et négocient avec eux des pactes sociaux – segmentent les travailleurs pour, finalement, les dresser les uns contre les autres : ainsi, au sein du secteur hospitalier, on distinguera entre le personnel technique, le personnel ouvrier et de nettoyage, les brancardiers, les différentes catégories de soignants (aides-soignants, infirmiers avec plus ou moins de diplômes). Certains bénéficieront d’aides ou de revalorisations ponctuelles, d’autres non. Ainsi, dans les rares moments où la conjoncture (covid) ou les luttes des travailleurs (manifestations des « blouses blanches ») forcent les gouvernements à prendre des mesures d’aide envers certains travailleurs du secteur, on néglige toujours ceux des métiers de la santé (en particulier les corps de métier des hôpitaux) qui sont considérés comme moins proches des patients et moins reconnus. Ces métiers sont pourtant tout aussi indispensables pour faire fonctionner l'hôpital.

La logique du capital envahit toujours davantage le secteur de la santé : la stratégie de la bourgeoisie vise à en accélérer la privatisation en le rendant plus « compétitif » et en y développant la concurrence entre institutions de soins, entre niveaux de pouvoir (régions, communautés, fédéral) mais aussi, hélas, entre travailleurs.


Un secteur de la santé malade dans une société malade du capitalisme

Mais le problème du secteur de la santé est global : les conditions de travail s’y dégradent dans toutes les institutions de soins, les équipements tombent en morceaux, tandis que la société dans son ensemble est de plus en plus malade. Partout, les travailleurs tombent victimes d’une organisation du travail insupportable : il y a plus de 400.000 malades de longue durée en Belgique, que la loi protège de moins en moins. Ainsi, la nouvelle loi sur les « trajets de réintégration » des malades de longue durée précarise les travailleurs, que l’on pousse à retourner dans leur boulot insupportable alors qu’ils ne sont pas guéris. Cela mène à des suicides !

La médecine et la science étant toujours davantage détournées au profit des capitalistes (notamment l’industrie pharmaceutique), on voit se développer dans la population une méfiance croissante envers la médecine et la science – même lorsque celle-ci est collectivement bénéfique (pour les campagnes de vaccination par exemple). Ceci contribue à la dégradation générale de la situation sanitaire dans nos pays.

Et on s’étonne alors que les institutions de soins de santé soient surchargées et que leur travail soit impossible !


Que faire ?

Nous devons lutter sans relâche contre l’ensemble des « réformes » de la sécurité sociale et des soins de santé qui se sont succédé au cours des quarante dernières années, réformes dont tous les partis bourgeois se sont rendus complices – y compris trop souvent les directions syndicales.

Nous ne devons pas avoir d’illusions : dans le cadre du capitalisme, il est impossible que l’ensemble du peuple bénéficie durablement de tous les progrès techniques, dans le domaine de la santé comme dans tout autre domaine où la productivité du travail augmente. Avoir des soins de santé efficaces pour tous, avoir le droit au travail, à l'éducation, à la culture, à la démocratie réelle etc. ne pourra se faire que lorsqu'on se sera débarrassés de ce capitalisme en décomposition avancée et que l'on aura instauré la société socialiste (à chacun selon son travail), prélude à la société communiste (à chacun selon ses besoins). Le Parti Communiste milite pour ce changement de société.

Le paradoxe pervers du capital, c’est que le progrès qui devrait bénéficier à l’humanité devient l’ennemi de l’humanité et que ce qui devrait rendre plus léger et plus bref le fardeau du travailleur est utilisé pour le menacer, le précariser ou réduire son salaire. Bref, le progrès technologique sous le capitalisme est au service de l'exploitation de plus en plus féroce des travailleurs. Ceci est vrai dans le secteur de la santé comme dans tout autre secteur. Quand les bourgeois écrivent que les soins de santé coûtent trop chers, ce n’est qu’une nouvelle illustration de ce principe.

Nous devons lutter contre chacun de ces reculs, sachant bien que le point de rupture approche. Des soins de santé convenables, des bonnes conditions de travail pour tous, ce sont des besoins élémentaires mais incompatibles avec la survie du capitalisme.

Nous devons lutter pour une médecine, préventive et curative, intégrée au tissu social, aux quartiers, aux entreprises, à la société tout entière. Cette approche du « soin intégral », partiellement développée à un niveau très local en Belgique sous la forme de maisons médicales, doit être déployée au niveau global et de l’état. Cette notion du « soin intégral » pour la communauté tout entière est ce qui fait le succès de la médecine cubaine, efficace et accessible dans un pays pourtant défavorisé économiquement et appauvri par l’impitoyable embargo US. La pandémie démontre bien les limites du modèle individualiste de l’organisation de la santé, alors que le modèle cubain se base sur des « activités d’éducation, de promotion, de guérison et de réhabilitation sanitaire, dirigées vers l’individu, la famille et la communauté

Cette lutte, c’est la lutte des travailleurs du secteur de la santé, qui aujourd’hui sont en première ligne et pour qui nous devons exiger des emplois en suffisance, avec de bons équipements et de bonnes conditions de travail. Mais c’est aussi la lutte de tout le monde pour l’accessibilité à tous de soins de santé de qualité, pour tous les travailleurs, malades du capital ou menacés par celui-ci.


Groupe de Travail Santé du PCB-CPB

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